Voulons-nous choisir ?

Voulons-nous choisir ?

Les marketeurs débutants commettent tous la même erreur.

Ils pensent que proposer davantage de choix au consommateur est une bonne chose.

Or, le choix est une taxe sur notre temps et notre attention, deux biens qui nous sont précieux car des plus rares.

Le consommateur ne veut pas plus de choix mais plus de confiance dans les choix qui lui sont proposés.

Il veut que quelqu’un d’autre recherche et sélectionne les options pour lui.

Nous prenons 35 000 décisions par jour, du choix de notre pantalon au café que nous allons commander. Nous passons ainsi 3 ans de notre vie à faire des choix !

Et la majorité d’entre nous (6 sur 10) est anxieuse de ne pas avoir fait le bon !

Chaque décision que nous prenons exerce une pression sur notre capacité mentale et induit une fatigue décisionnelle.

Cela nous épuise.

Or la majorité de nos choix sont plutôt sans importance.

C’est pourquoi, nous sommes enclins à utiliser des systèmes de « non-choix » pour les produits et services de consommation courants aux faibles enjeux.

J’expliquais dans un article de 2017 paru dans Les Echos que cela fait partie du projet fondateur d’Amazon qui est d’anticiper nos choix pour que n’ayons plus cette taxe sur notre temps et notre attention.

Amazon s’est constitué cette capacité grâce au traitement des données comportementales de ses clients via des algorithmes auto-apprenants et les avis clients (qui eux-mêmes sont des données exploitées pour le prédictif).

TikTok a franchi une nouvelle étape en éliminant complètement le poids du choix. 

Son contenu est un flux continu de vidéos où les décisions sont prises pour nous. Notre seul choix : ce que nous ne voulons pas regarder. C’est en fait un « non-choix ».

Cela crée un effet de spirale qui soude les utilisateurs – surtout les plus jeunes – à la plateforme pendant des heures.

Le cortex préfontal est responsable de la prise de décision et du contrôle des impulsions. Cette partie du cerveau ne se développe pas complètement avant les 25 ans. Surprise : les enfants ne peuvent pas s’arrêter de regarder TikTok. TikTok et c’est là tout à son honneur, rappelle désormais aux jeunes utilisateurs de faire des pauses pour sortir ou prendre une collation. Il s’agit d’une tentative de se différencier de la marque Méta (ex-Facebook) qui base son modèle économique sur la dépendance et l’enfermement. Google et Apple font de même avec, si cela est possible, encore plus d’hypocrisie. 

La plus grande source de profit d’Apple et de Google provient d’achats compulsifs réalisés par des personnes vulnérables.

Je le dénonce dans mon article récent dans le JDN Les MAMAA, ou la leçon de la dissimulation.

Mais revenons à TikTok et comparons son doomscrolling (pour Nicolas : « défilement morbide ») à l’expérience Netflix. Nous parcourons sur cette dernière une infinité de vignettes, certes personnalisées, afin d’essayer de trouver ce que nous souhaitons visionner, pour, ensuite, avoir à nous concentrer pendant 40 minutes. Un engagement bien (trop) important par les temps qui courent.

Si TikTok et Amazon nous conduisent au « non-choix », Google, quant à lui, est devenu un « moteur de recommandation ». 

Tous œuvrent à nous libérer du fardeau du choix.

Cette « servitude volontaire » du consommateur envers les Big Techs a un impact fondamental sur les Marques.

L’ère de la Marque, où l’émotion fardait des produits médiocres, a créé depuis les années 50 des milliards d’euros de valeur pour les actionnaires. 

C’était l’époque de la Pub, quand Don Draper-Séguéla créait une poudre magique pour créer des marges bien juteuses avec des produits indifférenciés.

Tandis que s’érige le mur de la recommandation et de la prédiction qui élimine le choix pour les produits de consommation courante, la Pub est devenue aujourd’hui une taxe que seuls les pauvres et les analphabètes de la Tech doivent payer

Pour les autres, les réseaux sociaux et autres porteurs d’avis clients ou les influenceurs font office et de filtres et d’aide au choix.

En refusant de reconnaître la fin de l’ère de la Marque la plupart des entreprises de PGC sont dans la même situation que l’homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages et qui, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : « Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien… Jusqu’ici tout va bien… ». Les entreprises sont tombées du toit de l’immeuble de Publicis-Dentsu-WPP et la plupart d’entre elles considèrent que « Jusqu’ici tout va bien… », encouragées en cela par le si séduisant et si désintéressé Don Draper-Séguéla qui aimerait bien tenir jusqu’à la vente de ses stocks-options.

Le choc sur le trottoir du 133 des Champs-Elysées risque d’être d’autant plus fatal que d’autres acteurs savent, de longue date, que la réputation de leur Marque et la com’ digitale ne résident pas dans le nombre de Like sur Facebook, de Followers sur Instagram ou le montant des sommes versées à des influenceurs véreux.

Nous avons tous en tête les saillies révélatrices de Jeff Bezos : « la Marque c’est ce que l’on dit de vous quand vous n’êtes pas dans la pièce », « une Marque c’est comme la réputation d’une personne. Vous gagnez votre réputation en essayant de bien faire des choses difficiles » et « votre marge, c’est mon opportunité ».

Pour Elon Musk « La Marque est simplement l’impression collective que certains ont d’un produit ». 

Tesla n’a dépensé que 0,11 $ de publicité payante par voiture vendue en 2020. Les autres fabricants de voitures de luxe près de 2000 $. 

Toute entreprise est devenue une entreprise d’influence.  

Elon / Tesla, Jeff / Amazon sont des maitres à ce jeu. Non seulement grâce à leur storytelling mais aussi à la qualité de leurs offres, du point de vue de leurs clients.

Ainsi nous sommes passés de l’ère de la Marque à celle du Produit.

Non pas que la Marque ait disparu, bien au contraire, car elle joue aussi ce rôle de limitateur du choix du client et aide ainsi à alléger ce fardeau. Mais elle est désormais avant tout liée au Produit (ou au Service) tel que le vivent les utilisateurs.

Le Produit ou le Service médiocres, même glamourisé par de la publicité, est amené à disparaître ou à ne s’adresser qu’aux pauvres et aux analphabètes de la Tech.

Nous entrons dans l’ère du Produit, dans l’ère de la Chaîne de Valeur du point de vue du client.

Ce serait néanmoins une erreur funeste de croire que nous sommes entrés dans un monde plus « objectif ».

Nous n’avons jamais été dans un monde de vérité, y compris pour les faits les plus gravissimes.

« Ce n’est que lorsque l’information est combinée à la croyance qu’elle devient une connaissance » écrit Jonathan Freeland dans sa bibliographie de Rudolf Vrba, l’échappé d’Auschwitz dont le témoignage en 1944 de l’enfer des camps s’est heurté à l’incrédulité des Juifs Hongrois et des Alliés. Si les faits sont désagréables ou exagérés, le déni et la dissonance cognitive peuvent étouffer l’envie d’agir.

L’inconcevable Cygne Noir de Taleb est pourtant bien là, hier et aujourd’hui.

Ne nous laissons cependant pas duper par les cigales larmoyantes qui viennent quémander des aides, tel le collectif de DNVB We are Lucioles et sa lettre ouverte à Bercy. Il est aisé d’invoquer de pseudos Cygnes Noirs tels l’inflation, la hausse des matières premières et l’explosion des coûts d’acquisition en ligne pour tendre la main alors que l’on a un modèle économique boiteux dépendant de l’apport renouvelé de levées de fonds.

La crise actuelle des startups est grave, mais pas autant que le fiasco des dotcoms des années 2000-2001.

Le marché potentiel pour les produits technologiques s’est depuis élargi de façon très importante, bien au-delà des bastions de l’informatique, pour impacter l’ensemble du monde du business, de la biotech au suivi de la supply-chain. Ce qui émergera du chaos sera une industrie de la Tech plus efficiente même si bien des lucioles resteront sur le chemin.

Apportons notre soutien à Philippe Silberzahn pour son article « Pourquoi nous ne vivons pas dans un monde fini » . « On le voit, l’erreur consiste à voir les ressources comme des biens physiques, alors que ce sont des biens économiques dont la valeur dépend du rapport entre l’offre et la demande, et de la rareté des substituts existants » ce texte lui vaut d’être harcelé sur les réseaux sociaux et de provoquer des demandes de renvoi de l’EM Lyon où il professe. 

Ne nous laissons pas duper par ceux qui, par aveuglement idéologique ou visées politiques n’acceptent pas les voix dissonantes ou simplement d’autres raisonnements que le leur.

Greta et Stéphane nous ne vous disons pas merci.

Fichtre, ce post se termine et je n’ai toujours pas abordé le sujet de ce jour, le 8 juillet.

Comment, nous sommes le 8 juillet et vous n’êtes pas au Pistoia Citta Blues Festival à écouter The Tallest Man On Earth

Alors, pour que vous passiez tout de même un bon été, en voici la playlist sur Spotify

100 titres qui font, vraiment, la différence. 

Accompagnés d’un verre de rosé du domaine Ray-Jane, une belle découverte de ce mois de Juin à Bandol vous devriez pouvoir vous réconcilier avec l’existence.

A propos de découvertes, je ne peux que vous conseiller d’accompagner Augustus McCrae et Woodrow Call, cet été, sur la route dangereuse du Montana avec leurs 2 000 têtes de bétail.

Lonsome Dove de McMurtry : comment se fait-il que je n’aie pas déjà lu ce livre ! ? 

Si la France était à la pointe de la technologie et des arts il y a un siècle de cela c’est qu’il y avait des hommes tels que Gabriel Voisin. Pour (se) faire un cadeau et se consoler de Pistoia voici un beau livre sur les plus belles des automobiles Françaises : Gabriel Voisin Journal d’un iconoclaste

Cet homme qui, en 1920, conspuait le design vulgaire des automobiles américaines, drapait de tissus Paul Poiret ses automobiles surbaissées en alu et surmontait leur radiateur d’une « cocotte » stylisée Art Déco, est l’ « un des plus beaux, des plus complets types humains » selon Paul Morand.

Pour conclure, une phrase de l’iconoclaste Gabriel Voisin :

La ligne, cette occasion d’esbroufe, disparaîtra, définitivement écrasée par un impératif irrésistible, la FONCTION.

Inoxydablement vôtre,

Jean-Paul CRENN

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