Quel Google après Eric Schmidt ?


Les Echos ont publié le 16 janvier mon article sur l’avenir de Google suite au départ d’Eric Schmidt.

L’avenir de Google est-il celui de Ma Bell ou de Microsoft ?

 

Pour le lire sur le site des Echos :

google vuca jean paul crenn les echos 16 janvier 2018

 

 

La version intégrale :
 
Eric Schmidt quitte Google en janvier 2018 ayant
mené à bien une superbe réalisation. Fruit de la vision de Larry Page et Sergey
Brin ainsi que de sa propre obsession, quel peut bien être l’avenir de la firme
de Mountain View ? Plateforme publicitaire ayant des parts de marché de
plus de 90% sur le secteur le plus lucratif des media, elle résiste de façon
agressive à toute application des lois anti-concurrentielles.
Le génie de Google était présent
dès le 1er jour, en septembre 1998, quand les étudiants à Stanford
Sergey Brin et Larry Page ont conçu un nouvel outil web, nommé moteur de
recherche, qui pouvait fouiller automatiquement le web à la recherche de mots
clefs.
Mais ce qui a rendu possible l’ascension
de Google a été le recrutement d’Eric Schmidt comme CEO. Ce scientifique,
devenu homme d’affaires, avait fait ses classes chez Sun Microsystems et Novell.
Ces deux entreprises s’étaient battues contre Microsoft – et avaient perdu.
Schmidt avait juré que cela n’arriverait plus jamais. 
Bill Gates devint la grande baleine blanche
de Schmidt et Google son Pequod.
Il est facile d’oublier que,
jusqu’à ce que Google arrive, Microsoft n’avait jamais été défait. Des
centaines de sociétés avaient essayées – même Netscape, avec l’un des produits
les plus originaux de l’histoire de la Tech – et elles en étaient mortes.
Microsoft a prouvé que le Moloch pouvait danser.
Google, avec un seul produit (qui
fasse de l’argent), a réussi à changer le monde et l’entreprise a tout mené de
façon remarquablement.
Le nom bizarre et une page
d’accueil simple, une recherche honnête, non influencée par les annonceurs, un
apparent manque d’intérêt pour d’autres marchés et des fondateurs attachants. Tout
cela a participé à rendre Google attractif pour ses utilisateurs et apparemment
inoffensif pour ses concurrents potentiels (tels que la Presse) jusqu’à ce qu’il
soit trop tard pour eux. Google a renforcé tout cela avec des déclarations
Peace & Love telles que « Don’t Be Evil » et des images
d’employés dormant avec leur chien au bureau.
Mais derrière ce paravent Google a mis en
œuvre l’une des stratégies les plus ambitieuses qui ait existé.
Organiser toute l’information au
niveau mondial. Capter et contrôler tout emplacement où pourrait se trouver
cachée toute information intéressante qui pourrait être portée par le web. Google
a su faire uniquement cela (le reste est de la poudre aux yeux), avec
obstination. Cela a débuté avec les informations déjà présentes sur le web – il
ne pouvait se les approprier mais il pouvait en devenir le portail. Ensuite il est
allé sur toutes les informations cartographiques (Google Maps), astronomiques
(Google Sky), géographiques (Google Earth, Google Ocean). Puis il s’est mis à capter
les contenus de tous les livres épuisés (Google Library Project) et enfin,
gratuitement, le travail des journalistes (Google News).
De nature insidieuse, l’absorption
de toutes les informations du monde prit place au vu et au su de tous – et ses
victimes potentielles ne s’en rendirent compte que trop tard. Ainsi le contrôle
du savoir par Google est si complet, et les barrières à l’entrée si importantes
(regardez le succès marginal du moteur de recherche de Microsoft, Bing ou
Qwant) qu’il risque de rester dans cette position pendant des années.
Les entreprises du monde entier envient la
position de Google à l’épicentre du monde digital.
 
Malgré une organisation
inintelligible, des règles d’indexation inconnues, un système d’enchères
publicitaires opaque, l’entreprise bénéficie de la confiance absolue de ses
utilisateurs (qui lui confient tous leurs secrets intimes) et de ses clients
publicitaires (qui lui confient leur argent et suivent leurs rendements sur un
outil fourni – gratuitement – par Google).
La face sombre d’un outil de recommandation
en situation de monopole.
Pourtant Google a prouvé sa
brutalité, que ce soit envers ceux qui ont enfreint ses lois, tels BMW ou
JCPenney, qui ont été déréférencés, ou ceux dont les intérêts économiques lui
étaient contraires, tels les comparateurs de prix, jugés néfastes à partir du
moment où Google propose cette fonction (Google Shopping). Google nous a menti
(tout comme Facebook) au début de la décennie quand il a promis qu’il ne
partagerait pas nos informations personnelles entre ses différents silos :
de Google à Gmail, à Youtube, à DoubleClick, à Android. Je citerai enfin pour
mémoire son mensonge originel selon lequel l’information est libre et gratuite.
Ce comportement est d’autant plus
inquiétant que la firme aux 3,5 milliards de recherches par jour n’est plus un
« simple » moteur de recherche mais un outil de recommandation qui
influe sur les prises de décisions de 2 Mds d’utilisateurs. Cette prise en main
de nos choix va se trouver décuplée avec la reconnaissance vocale puisque nous
ne verrons plus les choix existants. Nous ne prendrons en compte dans nos décisions
que les recommandations vocales de Google Assistant. Ainsi Google, tout comme
son concurrent haï Amazon, vont siffler en 2018 la fin des marques de grande
consommation qui, tout comme la Presse, n’a rien vu (voulu voir) venir.
Or, avec une part de marché de
plus de 90% Google est tellement puissant qu’il est indétrônable et ne peut
être concurrencé. Les amendes, même en milliards, ne lui font aucun effet –
voyez celle de de 2,4 Mds d’€ de l’Union Européenne en juin 2017, elle n’a fait
ni baisser le cours de son action ni ciller son management.
Ma Bell et Microsoft.
Si nous regardons le passé pour nous
aider à réfléchir sur l’avenir, nous ne trouvons que deux parallèles avec la
situation actuelle de Google : Ma Bell et, ironiquement, Microsoft.
Ma Bell, en position
monopolistique, a été démantelée par le législateur américain en 1983. Après
tout un moteur de recherche est devenu tout aussi nécessaire – d’utilité
publique – que le téléphone. En situation hégémonique en Europe – sans aucune
retombée économique notable sur le territoire, l’Union Européenne ira-t-elle
jusqu’à interdire Google au vu du Règlement Général sur la Protection des
Données en vigueur au 25 mai 2018 ?
De son côté, Microsoft, à force
d’étouffer tous ses concurrents potentiels au berceau a d’autant plus facilement
ému le législateur pour le contraindre que son arrogance – une habitude dans le
monde de la Tech – a rendu l’entreprise détestable aux yeux de tous.
Tout peut arriver puisque cela s’est
produit.
Sans la décapitation du roi
Charles 1er, Louis XVI aurait sans aucun doute gardé sa tête… sans
parler de la proximité entre la roche Tarpéienne et le Colisée
La puissance incomparable de
Google est-elle l’annonce de son déclin ?

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