GAFA : le vent tourne enfin pour la bande des quatre.

Les Echos ont publié vendredi dernier (20 octobre 2017) mon avis sur l’évolution des GAFA.
  • Google, Apple, Facebook et Amazon vont-ils devoir être, enfin, responsables de leurs actes ? 
  • Vont-ils être contraints de modifier leurs comportements antisociaux pour survivre ?
L’Europe, dos du mur, les citoyens qui doutent et la possible émergence d’une technologie plus impactante que l’Internet peuvent nous donner cet espoir.
Pour lire directement cet article sur Les Echos c’est ici.
Pour avoir le texte dans son intégralité, avec les notes de bas de page et les images  🙂 :

GAFA :
le vent tourne enfin pour la bande des 4

La Bande des Quatre est le nom d’un groupe de dirigeants chinois qui furent arrêtés et démis de leurs fonctions en 1976, peu de temps après la mort de Mao Zedong. On les accusait d’être les instigateurs de la Révolution culturelle, qui fit des millions de victimes et plongea la Chine dans le chaos de 1966 à 1976 (source wikipedia).


Le 14 octobre 2017, le
secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, s’est opposé à la proposition
française de taxer les géants du numérique sur leur chiffre d’affaires,
estimant que cette mesure n’était pas pertinente. Cette évasion fiscale
systématique sous couvert d’optimisation n’est que la partie émergée du côté
obscur des GAFA. Mais le vent tourne pour ces Big Tech et ce n’est pas trop
tôt. Ce vent s’appelle l’Europe, le sens civique et la Blockchain.

Depuis 10 ans les principales
controverses concernant les GAFA étaient de savoir laquelle allait avoir la
plus forte valorisation ou celle qui était la plus cool. Ces plateformes
destituaient les autocrates[1], ne voyaient la mort que
comme un autre bug à éliminer et allaient faire marcher un homme sur Mars.
Les media, telles Mowgli
hypnotisé par Kaa[2],
servaient la soupe des investisseurs des GAFA tout en avalant le plus grand
mensonge du monde moderne des affaires – « L’information est
gratuite ». Laissant les plateformes parcourir, classer et revendre leurs
propriétés intellectuelles, les invitant ainsi au plus incroyable hold-up consenti
qui soit.

Mais le vent tourne pour ces plateformes et ce n’est pas
trop tôt.

Le point d’inflexion a été la
récente révélation selon laquelle Mark Zuckerberg était devenu, sans le
vouloir, sans le savoir, l’intercesseur de Vladimir Putin dans les élections
présidentielles américaines.
Mais Facebook n’est pas la seule
plateforme pour laquelle le voile de la communication angélique se déchire sous
la pression des conséquences de ses actions.
Google, Apple et Amazon sont dans
la même situation. 
Tout comme la révolution culturelle maoïste a dû reconnaître
la réalité de ses actions au travers du procès de la « bande des 4 »,
les GAFA vont devoir commencer à rendre des comptes et à changer leurs
comportements pour survivre.
Car il va bien falloir qu’elles finissent par
répondre aux mêmes normes et aux mêmes contraintes que les autres entreprises.
Et il ne s’agit pas que d’évasions fiscales sous couvert d’optimisation.
Et ce ne sera pas trop tôt.
Non pas que ces entreprises
soient dirigées par des escrocs ou que leurs employés soient plus cupides que
les autres. C’est tout simplement que nous sommes dans une société capitaliste
où chacun est incité à penser à soi avant les autres. C’est triste mais, comme le
disait Churchill à propos de la démocratie, « la démocratie est le pire
des régimes – à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le
passé ». Demandez donc aux survivants de Pol Pot ou de la révolution
culturelle si c’était mieux…
Mais il faut bien reconnaitre que
pour tous les PDG la préoccupation majeure est le cours de l’action de
l’entreprise, le reste étant… tout le reste (salariés, environnement,
sociétal). « J’ai acheté mon appartement à Auteuil grâce à la vente de mes
stock-options qui ont flambées grâce à notre approvisionnement éthique et à la
super mutuelle offerte à nos salariés. »
Non, jamais aucun patron n’a
jamais dit cela. Jamais.
Et c’est bien sûr le cas du top
management des GAFA.
Amazon
Destruction d’emplois,
domination, faible implication sociétale et capacité à détruire des pans entiers
de l’économie sont les facteurs qui amèneront au démantèlement d’Amazon.
Amazon a besoin de moins de la
moitié des employés dont a besoin un distributeur traditionnel pour fournir le
même niveau de service
. Cela signifie qu’une progression annuelle de 20 Mds $
implique la destruction de 50 000 emplois dans la distribution. Amazon
peut même créer le chaos dans un secteur d’activité avant même qu’il y soit.
Par exemple, la chaîne de distribution Kroger a perdu pratiquement 1/3 de sa
valeur quand Amazon a annoncé le rachat de l’un de ses concurrents, pourtant 10
fois plus petit que lui. Vous avez reconnu Whole Foods.
Depuis 2008, Walmart a payé 64
Mds de $ d’impôt sur les sociétés et Amazon 1,4.  
Amazon ne paye pratiquement pas d’impôts,
subventionne la destruction de la distribution en parvenant à ne pas rémunérer
son capital, en ayant des prêts bancaires à des taux inférieurs à ceux de la
Chine, en développant son activité AWS et sa Marketplace[3] ! 
Quand Amazon
annonce la création d’un deuxième siège social les villes américaines ne se comportent pas mieux que les villes françaises pour de simples entrepôts :
c’est à qui séduira le mieux le géant de Seattle avec des ponts d’or (physiques, financiers
et… fiscaux).
Jeff Bezos est un génie du
story-telling mais cela aura une limite.
Don’t worry, Be happy
Le démantèlement d’Amazon viendra
des politiques, européens et américains quand ils comprendront, enfin, qu’ils
ne peuvent pousser des cris d’orfraie sur l’évasion fiscale tout en leur
offrant des avantages incroyables pour venir s’installer sur leur territoire,
sans réelle contrepartie, si ce n’est des emplois sous qualifiés et non
pérennes. Y compris au niveau du marketing ou de la logistique : le
savoir-faire réside dans le logiciel maison d’Amazon et y reste. Les ex-Amazon
se retrouvent tels des hamsters ayant perdu leur roue quand ils sortent de leur
cage.
Apple
Apple, qui a réussi à transformer
en produit de luxe des objets manufacturés en masse – à la différence d’Hermès
pour lesquels il y a un véritable savoir-faire artisanal et des matières
premières rares. 
Apple donc a sans doute moins de souci à se faire de la part
des gouvernements. 
Leur problématique d’évasion fiscale pourra être facilement
résolue : ils pourront négocier avec le percepteur quand ce dernier se
décidera, enfin, à frapper à leur porte. Avec tout leur cash (plus que la
capitalisation de la Bourse Russe !) ils trouveront facilement un terrain
d’entente. 
Apple, vénéré par « ceux qui comptent » s’est permis,
grâce à cette intelligentsia, de faire un doigt d’honneur au gouvernement
américain quand ce dernier a voulu accéder, ô sacrilège, à l’iPhone d’un
terroriste. Apple est au-dessus des lois et veut que cela se sache. Cela finira
peut-être par agacer le citoyen américain lambda ainsi que le législateur…

La Liberté selon le Hipster
Facebook
Facebook a couvert des actions
étrangères lors des dernières élections américaines. 
Non pas que ces quelques
milliers de $ aient pu changer le cours des événements mais ces rois de l’IA ne
seraient pas capables de remarquer ce type de tentative de manipulation par leur
intermédiaire
… De même, les agissements de Cambridge Analytica pour le compte
de Donald Trump n’ont sauté aux yeux de personne chez Facebook. Là, pourtant,
l’effet semble avoir été plus flagrant.

Le partage des informations c’est pour les autres, pas pour Zuck (cerclé de rouge, le fameux adhésif protecteur)
De deux choses l’une, soit Facebook ne
sait vraiment pas ce qui se passe chez lui – et c’est peut-être pourquoi
Zuckerberg met un scotch sur sa webcam – soit il considère qu’il n’a aucune
responsabilité dans ce qui se fait ou se dit via sa plateforme. Son objectif
est uniquement de faire de l’argent via des clics. Les contenus ne sont pas son
problème. Que plusieurs études montrent que le réseau social favorise
mécaniquement la haine n’est pas son souci
[4]. Au contraire, c’est bon
pour le niveau d’implication des usagers qui ainsi s’auto-confortent dans leurs
convictions de plus en plus extrêmes.
Ce qui est réellement choquant
est que les media considèrent que c’est bien normal que Facebook ne puisse pas
vérifier tous ses contenus. Alors que bien sûr que Facebook peut le faire mais
il ne peut pas le faire ET garder ses marges confortables.
Google
Google est, selon les lois de
l’antitrust, la plateforme la plus vulnérable aux interventions des
gouvernements avec des parts de marché à plus de 90%. 
Or le marché du Search[5]
est désormais plus important que celui de la publicité, partout dans le monde,
à l’exception des USA. Google est le plus conscient de la bande des 4 de son
énorme pouvoir et des craintes que cela peut engendrer. Cela n’a pas toujours
été le cas, rappelez-vous Eric Schmidt[6] en 2009 :
« Seuls les mécréants sont inquiets pour leurs données personnelles »
et « Si vous ne voulez pas que cela se sache, ne le faites pas ».
Imaginez juste votre portrait et votre nom au-dessus de toutes les idioties que
vous avez pu saisir dans cette foutue barre de recherche et vous commencerez à
percevoir ce qui peut fait peur. Quand Dieu, la source de vérité omnisciente,
n’est pas un gars invisible avec une barbe mais des employés qui font des
barbecues tous les week-end eh bien c’est… dérangeant.

Lisez-le, ça rassure.
En ce début d’année l’amende de
la commission européenne de 2,42 Mds € envers Google n’a pas fait bouger son
cours de bourse ce qui montre que les investisseurs et donc le top management
de l’entreprise en ont pas grand-chose à faire. Mais la commission ne va pas en
reste là.
Le vent tourne d’abord en Europe
Car l’offensive venant d’Europe
va se poursuivre, notamment avec l’application du Règlement Général sur la
Protection des Données au 25 mai 2018. Si les USA tirent quelques bénéfices de
la bande des 4, l’Europe n’en tire que des miettes tout en voyant ses propres
champions étouffés par les GAFA (Nokia c’est quoi ? Il n’y a que Macron
pour comparer Qwant à Google[7]. Mais rassurez-vous il n’y
croit pas lui-même[8].
Même Bpifrance plisse le nez pour investir l’argent du contribuable dans ce moteur
de recherche[9]
…).

Le manque de sens civique
Ce qui peut freiner la bande des
4 c’est que la réalité de leurs actes démontre, finalement, leur manque de sens
civique ce qui, au vu de leur poids dans l’économie et donc la société va finir
par ne plus être acceptable par un nombre de plus en plus grand de
citoyens-utilisateurs-clients : évasion fiscale, manque de transparence,
brutalité managériale. Et puis leur idolâtrie de la jeunesse et du dollar
pourrait également lasser.
La Technologie qui pourrait tout faire basculer
Mais le vent pourrait bien
tourner pour les GAFA par ce qui a fait leur force : la technologie.
 
Elles se sont accaparées, à leur
profit, celle de l’Internet (dont le fameux protocole TCP/IP est le socle) en
mettant en oeuvre des stratégies de plateforme[10] (je t’offre un service
gratuit avec des contenus qui ne me coûtent rien et c’est toi qui deviens le
produit avec la variante je te trouve
des clients pour tes produits comme cela tu me fais une étude de marché
gratuite). Cela leur a permis de se positionner, grâce aux effets de réseau,
comme des intermédiaires incontournables là où la promesse de l’Internet était
justement d’éliminer ces fameux intermédiaires.

La technologie de la Blockchain[11], qui est le socle du
Bitcoin, peut s’avérer aussi transformatrice que celle du TCP/IP car elle
permet de certifier le transfert d’information. Ainsi, comme le dit très
justement Gilles Babinet[12], la Blockchain pourrait
faire à la transaction ce que le protocole TCP/IP a fait à l’information.

Créer, de façon automatisée, de la confiance, sans qu’il soit besoin de passer
par des tiers tels que les GAFA, l’Etat ou les Bancassurances.
Nous pouvons envisager avec la
Blockchain – et certains ont déjà commencé à l’expérimenter si ce n’est à la
déployer – une relation plus « horizontale », de pair à pair (peer to peer) pour tous les actes qui
exigent de la confiance : transactions, réservations, actes de propriété,
diplômes… mais également identité.  Avec
un coût bien moindre que celui exigé par les intermédiaires et le bénéfice, là
aussi, de l’effet réseau via des parties prenantes dont les comportements sont
alignés. Adieu les 10, 15, 20% exigés par Amazon ou Apple ! Bonjour la
rémunération de mes comportements et de mon identité par Facebook ou Google !
Adieu Notaire, Commissaire aux comptes et autres comptables, adieu Blablacar,
AirBnb ou Uber !
Cette deuxième révolution
d’Internet qui est la Blockchain pourrait-elle transformer la bande des 4 en
colosses aux pieds d’argile ? Elle doit encore faire ses preuves mais
ouvre des perspectives qu’aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne peut
faire l’impasse. Surtout si elle est confrontée aux GAFA[13].
L’alignement des planètes
Cet alignement des planètes avec une Europe dos au mur, des
citoyens qui doutent et la possible émergence de la Blockchain, va-t-elle faire
de Facebook, Google, Apple et Amazon les MySpace, Altavista, Nokia et Félix
Potin du futur 
Nul ne le sait. 
Mais ce qui est certain c’est que le
temps de leur toute puissance est derrière elles. 
Elles vont devoir, enfin,
rendre des comptes. 
Le vent tourne !


[1]
Rôle de Facebook dans le “Printemps Arabe”.
[2]
Voir ce superbe ouvrage sur les relations interpersonnelles qu’est Le Livre de la Jungle de Rudyard
Kipling.
[3]
AWS et la partie Marketplace de l’activité d’Amazon semblent être les seules
profitables. On peut remarquer que le plus gros client d’AWS est NETFLIX dont
Amazon est devenu concurrent en distribuant et en produisant des films dont
l’accès est gratuit pour ses abonnés Prime (voir Amazon Prime Video). La
Marketplace Amazon en n’étant pas une Marketplace « neutre » comme
par exemple eBay est, sous le couvert d’un accès au marché, une superbe
entreprise de spoliation des TPE-PME. Avec le haut-parleur connecté ECHO couplé
à l’intelligence ALEXA ce sont directement les Marques de grande consommation
qui sont visées. Nos tests menés aux USA depusi début 2017 montrent clairement
qu’Amazon promeut à la fois ce canal de prise de commande et les produits de
ses marques. Le nombre de celles-ci étant en pleine ascension.
[4]
Voir par exemple l’étude
réalisée par le laboratoire de sciences computationnelles de l’école IMT des
hautes études de Lucques, Toscane.
[5]
Marché de la publicité sur les moteurs de recherche.
[6]
PDG de Google.
[7]
Voir cet article.
[8]
Selon ses déclarations il n’y a pas investi d’argent personnel : Put your money where your mouth is comme
on dit dans la Blanche Albion.
[9]
Selon la lettreA
[10]
Ou stratégies de marchés biface, voir à ce sujet les travaux de notre Prix
Nobel d’Economie 2014, Jean Tirole
[11]
Une définition via une partie prenante mais qui a le mérite d’être
compréhensible : Blockchain
France
[12]
Gilles Babinet, in La Blockchain
décryptée
, éditions L’Observatoire Netexplo
[13]
Mais laquelle ne l’est pas ?

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